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17 janvier 2013 4 17 /01 /janvier /2013 19:46

Dans La colonie pénitentiaire, Kafka met en scène, comme dans plusieurs autres ouvrages, la justice, la condamnation et l’exécution. La justice est expéditive, surtout dans cette colonie située dans une île où l’on parle français.

La scène est vue par un témoin prié par le commandant de la colonie d’assister à l’exécution d’un condamné. Un officier est chargé de montrer à cet explorateur en visite dans la colonie le mode d’exécution. Ce dernier, qui n’est pas un professionnel de la justice, éprouve un intérêt limité à cette scène. Cependant, l’officier déploie un grand zèle à expliquer le fonctionnement de la machine à exécuter, en présence du condamné, pauvre bougre à l’air stupide, et de son gardien, un soldat comme le condamné, qui porte la chaine entravant celui-ci. Il s’agit d’un appareil particulièrement sophistiqué, composé de trois parties : en bas un lit où s’allonge le condamné, en haut une dessinatrice et au milieu une herse.

Les commentateurs de Deleuze et Guattari ont fait de cette machine imaginée par Kafka le prototype des « machines célibataires » conçues par ces deux auteurs. Ils entendaient par là des machines destinées à fonctionner en vase clos, sans influence extérieure, de façon immuable, sans souci des conséquences qu’elles peuvent avoir sur leur environnement – ainsi, par exemple, des banques emportées dans la spéculation des marchés financiers et complètement déconnectées de l’économie réelle.

Dans la colonie, l’inventeur du système était l’ancien commandant, qui avait dessiné et construit la machine et avait institué le règlement de telle sorte que tout contrevenant était condamné à passer dans la machine où la herse gravait dans son dos le motif de la condamnation enregistré dans la dessinatrice pendant douze heures d’affilée, au terme desquelles le condamné parvenait enfin à comprendre le motif, juste avant d’expirer. Ainsi tout le système repose sur un règlement arbitraire promulgué par un commandant local, qui s’applique sans nuance à tout individu fautif, sans appréciation de la gravité de la faute et sans information préalable du condamné du motif de la condamnation, ni de sa nature.

L’officier était l’adjoint de l’ancien commandant et il n’éprouvait aucun doute sur la perfection du système inventé par son ancien chef, dont il assurait la perpétuation.

Toute la nouvelle, écrite dans une langue précise, destinée à décrire le mécanisme sans porter de jugement, est un froid constat des faits. Seules les réticences de l’explorateur créent une certaine tension avec l’officier qui comptait s’appuyer sur lui pour contrecarrer les réformes attendues du nouveau commandant.

Les motivations du commandant à faire assister l’explorateur à l’exécution étaient d’ailleurs inverses : il souhaitait recueillir son avis éclairé sur le mode d’exécution en vigueur pour pouvoir l’abolir. A cet égard, l’explorateur exprime un avis sans détour à l’officier : il est nettement hostile aux méthodes en vigueur dans la colonie.

Cet aveu conjugué à une défaillance technique de la machine entraine le dénouement imprévu de l’histoire, sans que le caractère abominable des méthodes utilisées dans cette colonie soit atténué, ni la conviction absolue de l’officier, - emporté jusqu’au bout par son obsession d’une justice mécanique -, ébranlée. L’explorateur, submergé par toute cette horreur, n’a pas le courage d’aller exprimer son indignation au nouveau commandant et s’enfuit piteusement, refusant même de secourir les victimes du système qu’il côtoie.

Ainsi, toujours avec une remarquable retenue, Kafka expose en visionnaire l’existence d’un système précurseur du totalitarisme et l’aveuglement et la veulerie de ceux qui seraient en situation de s’y opposer.

 

A lire aussi :   - Le verdict – Franz Kafka

                     - Kafka, les souris et le chat 

                     - En attendant les barbares – J.M. Coetzee

                     - Lettre au père – Franz Kafka

                         - Lettres à Milena – Franz Kafka

 

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8 janvier 2013 2 08 /01 /janvier /2013 20:39

Un roman russe est une autobiographie plutôt qu’un roman, avec sans doute des arrangements avec la réalité, mais c’est la règle du genre. Emmanuel Carrère est le fils d’Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de l’ex-Union Soviétique et Secrétaire perpétuelle de l’Académie Française. Il souffre de troubles psychiques et tente de vivre avec, jusqu’à ce qu’il décide de les affronter.

A ce moment-là, il nous emmène en Russie, à Kotelnitch, une ville moyenne desservie par le Transsibérien. Dans cette ville, l’hôpital psychiatrique abrite un vieux Hongrois, AndrasToma, fait prisonnier en 1944 et demeuré là, sans jamais avoir appris le russe. Amputé d’une jambe, il est rapatrié en Hongrie au soir de sa vie, à plus de quatre-vingts ans. Cette affaire a justifié le déplacement d’une équipe de télévision à laquelle participe Emmanuel Carrère.

C’est pour lui un ressourcement : dans son enfance il a entendu parler le russe mais l’a oublié. C’est une occasion rêvée pour retrouver cette langue des origines. Et cela lui fait penser à sa famille, sa mère notamment, icône de la société française qui cache l’histoire de son père géorgien immigré en France, le plus doué de sa famille, qui apprit cinq langues, mais dont le principal titre de gloire en France fut d’être brièvement chauffeur de taxi à Paris, avant de disparaître mystérieusement à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Tout en enquêtant à Kotelnitch, Emmanuel Carrère pense à son amie Sophie restée à Paris. Cela lui procure des rêves tendres auxquels participe une dame Fujimori. A Kotelnitch, avec son équipe, il rencontre du monde et l’idée lui vient de revenir plus tard effectuer un nouveau reportage filmé sur la vie dans la ville.

Dans l’intervalle, il développe le thème de sa relation tumultueuse avec Sophie. Il fait tout pour se donner le rôle d’un personnage impossible à vivre, mû par ses pulsions, tyrannique avec son amie. Il imagine un stratagème pour l’exciter par la publication d’une « nouvelle » dans Le Monde. Il s’agit plutôt d’un bréviaire érotique destiné à faire « mouiller » Sophie ainsi que toutes les femmes qui le liront dans un train. Le résultat sera désastreux.

Le retour à Kotelnitch ne produira pas plus de fruits. Seul un fait tragique survenu en parallèle de la crise conjugale justifiera un troisième voyage à Kotelnitch pour terminer le film.

 

La conclusion de ce livre éclaté en plusieurs pôles prend la forme d’une lettre à la mère, où Emmanuel Carrère dénonce le silence familial sur la destinée du grand-père comme cause de la psychose et du mal-être de la famille.

La difficulté que l’on ressent avec ces pseudo-romans contemporains où les auteurs étalent crûment leur intimité est l’absence de distance par rapport à l’intrigue et le mélange parfois indigeste entre les différents thèmes. Ces ouvrages peuvent nous faire regretter la réserve que savait observer Flaubert en décrivant la vie de Madame Bovary, tout en proclamant : « Madame Bovary c’est moi ! », ou les aventures si peu abouties de Frédéric Moreau, son autre double.

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 21:07

C’est une entreprise exceptionnelle qu’a accomplie Ivo Andric en écrivant le Pont sur la Drina : inclassable, cette chronique de la vie dans la ville de Višegrad s’écoule sur une durée de quatre siècles, en présentant de multiples personnages dans des actions d’une grande diversité et sans autre lien que l’unité de lieu, la ville et son pont avec, comme point central, la kapia, la petite terrasse aménagée au milieu du pont.

Naturellement, Ivo Andric fait défiler toute l’évolution historique de la colonisation ottomane, jusqu’à son déclin et son remplacement presque en douceur par l’empire d’Autriche Hongrie au XIXème siècle. Mais cette grande Histoire sert de fond à sa fresque et n’en forme pas le cœur : celui-ci sera constitué des petites aventures du peuple de Višegrad et de ses habitudes. Ce parti-pris de nous faire voir l’écoulement du temps au travers de la vie du peuple ne l’empêche pas de montrer toutes les fractures qui divisent cette population.

L’invasion turque a poussé un grand nombre d’habitants de la Bosnie à se convertir à l’Islam : cela créait naturellement quelques tensions avec leurs voisins Serbes demeurés orthodoxes. Au milieu de ces deux communautés antagonistes mais vivant en bonne intelligence sous la pression du colonisateur existait aussi une minorité juive. En revanche, il n’est pratiquement pas  question des Croates catholiques qui n’avaient pas dû s’implanter dans ces confins de la Bosnie.

L’évolution générale nous fait voir la dureté des Turcs, qui enlèvent des enfants à leurs familles pour les conduire à Stamboul, où ils doivent suivre l’enseignement des janissaires, dûment convertis à l’islam et destinés à devenir des administrateurs et des notables de l’empire. C’est l’un de ceux-ci, emmené de force en 1516 de son village natal de Sokolovici à l’âge de dix ans, qui, devenu vizir sous le nom de Mehmed pacha Sokolovici, ordonna la construction du pont.

Celle-ci suscite une vive inquiétude dans la population et donne lieu à quelques scènes atroces qui montrent la cruauté que pouvaient exercer les Turcs à l’égard des opposants à leur politique.

Dans tous ces développements qui font alterner le dramatique avec la description de la vie paisible qui lui succède, Ivo Andric conserve toujours une distance et un ton neutre qui atténuent le caractère passionnel que les intéressés devaient nécessairement ressentir devant les événements. Il sait trouver une langue riche pour bien marquer les nuances qui distinguent la façon de penser de ses personnages, et la traduction de Pascale Delpech, d’une grande élégance, marque bien à la fois l’attachement de l’auteur à ce peuple et son ironie retenue face à ses inconsistances.

Naturellement, Ivo Andric nous conduit jusqu’à 1914, à l’attentat qui coûta la vie à l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo – comme son confrère autrichien Joseph Roth dans la Marche de Radetzky – et aux premiers combats de 1914.

 

 

A lire aussi : La Marche de Radetzky – Joseph Roth

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16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 21:14

Premier roman à succès de Lao She, le Pousse-pousse s’apparente au roman social par sa description du peuple de misère du Pékin des années vingt et trente et, en particulier, de la condition difficile des tireurs de pousse-pousse. Véritable document sociologique, le roman détaille les différentes catégories de tireurs : l’élite des indépendants qui possèdent leur pousse-pousse, les tireurs employés par un patron privé pour assurer les déplacements de la famille, ou les tireurs qui doivent louer un pousse-pousse à la journée auprès d’un propriétaire.

Siang-tse, le héros du roman, expérimente alternativement les trois conditions. Jeune homme ambitieux, il souhaite conserver son indépendance et exercer son activité comme tireur d’élite qui transporte ses clients plus vite et plus confortablement que ses confrères grâce à sa jeunesse, sa haute stature et sa bonne condition physique. Mais les événements contrarient ses ambitions. Les conflits qui perturbent la vie dans les environs de Pékin génèrent une forte insécurité causée par les bandes armées incontrôlées qui harcèlent les commerçants et les paysans. Siang-Tse se trouve bientôt dépossédé de son pousse-pousse et contraint de recourir à un loueur.

Il connaît toutes sortes de mésaventures auxquelles il réagit avec pragmatisme et bonne humeur tant qu’il croit à sa bonne étoile. Mais sa déchéance progressive le fait pénétrer dans des milieux où sa condition n’est pas toujours respectée. Il se marie à contrecœur avec une femme qu’il n’aime pas mais qui est susceptible de lui procurer certaines facilités.

Lorsqu’il a tout perdu et que l’âge et la fatigue causent une perte de puissance physique, il abandonne ses ambitions, se relâche et ne pense plus qu’à tirer le plus de petits profits au moindre effort.

Lao She démontre ainsi par l’exemple l’absurdité de ce mode de transport qui rend un service peu efficace aux dépens de la santé et de la vie de ses agents. Il en profite pour décrire le foisonnement de l’immense cité, les arrangements que doivent pratiquer les habitants pour survivre, les menaces qui pèsent en permanence sur la population, quelle que soit sa classe sociale. Le ton du récit exprime la forte empathie de Lao She pour ses personnages et exclut toute forme de jugement moral, quels que soient leurs arrangements plus ou moins honnêtes pour survivre.

 

Autre article sur Lao She : Quatre générations sous un même toit – Lao She

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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 21:55

François Joseph 1er devint empereur d’Autriche, sur fond de révolution, fin 1848. Son intronisation eut lieu à Olmütz (Olomouc) en Moravie. Sa première mission fut de mater la révolution, d’abord en Hongrie, puis en Italie, avant de penser à se marier.

Son Empire était alors à son apogée. Les guerres et les révoltes qui y éclatèrent durant son règne le minèrent au fil du temps. A la fin des années 1850, c’est de nouveau en Italie que la guerre gronda, avec le soutien de l’armée française aux insurgés. François Joseph était à la manœuvre à la bataille de Solferino en 1859. Cet événement marque le point de départ du roman de Joseph Roth lors de l’intervention du sous-lieutenant Trotta, qui plaque l’empereur à terre au milieu de la bataille et reçoit la balle destinée à ce dernier dans l’épaule. Cet acte d’héroïsme valut à Trotta le grade de capitaine ainsi que le titre de baron Trotta von Sipolje, du nom de son village natal en Slovénie. Sa promotion masquant l’abominable tuerie de cette bataille et la sévère défaite subie par l’Autriche fut vécue par le nouveau capitaine comme une fatalité, qui se reportera sur ses descendants pendant deux générations.

Le baron Trotta von Sipolje, indigné de découvrir le travestissement de son acte d’héroïsme dans un livre d’histoire destiné à l’éducation des enfants, quitta l’armée et empêcha son fils d’y faire carrière, le poussant dans la voie administrative. A partir de là, le destin de la famille suit le déclin de l’Empire. Les défaites se succèdent, l’Empire s’amenuise, au même rythme que Trotta fils se confine dans la routine de sa fonction de préfet, nommé en Moravie, où chaque dimanche, la musique militaire locale joue avec bravoure la Marche de Radetzky de Johann Strauss. Le préfet, par esprit de revanche sur son destin, incita son fils, le jeune Charles-Joseph Trotta, à entamer une carrière militaire dans la cavalerie, où ce dernier, qui n’aimait pas l’équitation, se rongeait.

Joseph Roth présente tous ces faits sur un ton neutre, teinté d’une froide ironie. Il montre le déclin de la famille en parallèle aux difficultés de l’Empire. L’esprit routinier du préfet dégénère en totale passivité chez le jeune lieutenant. En permission chez son père, lorsqu’il rend visite à un ami de la famille, le maréchal des logis Slama, le jeune Charles-Joseph se laisse séduire par la jeune femme de ce dernier, sans résistance et sans aucune énergie de sa part. Incapable d’initiative, il se laisse mener en toute circonstance, ce caractère reproduisant dans la sphère privée le conservatisme observé à la tête de l’Empire.

Quittant la cavalerie à la mort de son unique ami au cours d’un duel, il est nommé dans l’infanterie en Ukraine, aux confins de l’Empire, où il reste très solitaire, noyant son ennui dans l’alcool et se laissant de nouveau séduire par une femme moins jeune cette fois. Il s’endette pour aider ses compagnons joueurs. Au cours d’une grève, placé à la tête d’un contingent destiné à intimider les manifestants, il se laisse conduire à ordonner aux soldats de tirer, et finit par obtenir son congé de l’armée peu avant l’assassinat du Prince-héritier à Sarajevo. L'annonce de ce crime est le prétexte à la fragmentation des diverses nationalités de l’Empire au sein même  du régiment, les Hongrois se lançant dans des diatribes hostiles, indécentes dans ces circonstances.

Ainsi, par petites touches, Joseph Roth scelle le destin de ses personnages en parallèle de la déconfiture progressive de l’Empire et s’amuse à réunir dans d’improbables rencontres le préfet Trotta et l’empereur François Joseph, qui se ressemblent un peu comme des sosies. Dans un tel univers, la lucidité n’est prêtée qu’à un riche aventurier qui dévoile le futur sans être jamais pris très au sérieux.

 

 

Vous pouvez aussi être intéressé par :  Tarabas, un hôte sur cette terre – Joseph Roth

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22 novembre 2012 4 22 /11 /novembre /2012 20:03

    Plus petit Etat européen, Malte n’est pas à un paradoxe près : c’est aussi celui qui a la plus forte densité de population, la plus grande partie de son territoire urbanisée, les monuments les plus anciens et l’un des plus grands mélanges d’origines de sa population.

Dans l’île de Malte elle-même, il n’y a pas de campagne à proprement parler, seulement quelques minuscules champs délimités par des murets en pierre sur les pentes des collines et un tout petit bois.

Les villes qui ont une vraie personnalité sont La Valette, qui fait face à Vittoriosa et  Senglea construites sur l’autre rive du grand port, et Rabat et Mdina dans le centre. La Valette, la capitale, est une forteresse construite sur un promontoire rocheux entre les XVIème et XVIIème siècles, sur un plan en damier. Ses rues suivent les fortes déclivités du terrain et la plupart des maisons sont anciennes. De beaux palais classiques abritent les sièges gouvernementaux et les musées. Une densité d’églises inégalée, sauf peut-être à Rome, démontre l’attachement des Maltais à la religion. Tout ce décor provient des chevaliers de Saint-Jean, issus des croisades et chassés de Rhodes par les troupes de Soliman-le-Magnifique. A Malte, ils prirent le temps de faire construire les redoutables bastions de la Valette et les forts des péninsules alentour pour affronter le choc des Ottomans, qu’ils finirent par repousser.

Cette situation rend la visite aisée : les distances sont courtes et les bus desservent tous les points de l’île. Il faut toutefois compter sur les embouteillages. Après un premier aperçu de la Valette, toujours enserrée dans ses formidables fortifications, notre exploration a commencé vers la grotte Bleue au sud, que nous n’avons d’ailleurs pu voir, le vent empêchant les barques de naviguer. Nous avons exploré ses environs et admiré la côte rocailleuse battue par le vent et les vagues en face de l’îlot rocheux de Filfla, avant de déjeuner, puis de gagner par un sentier les sites de Hagar Qim et de Mnajdra, où se situent plusieurs des temples mégalithiques de l’île. Ces vénérables constructions de blocs de pierre sont considérées comme les plus anciennes du monde méditerranéen. Bien conservées dans l’ensemble, elles ont été pourvues de toits en toile qui leur donnent un aspect quelque peu surréaliste. Après la visite, notre promenade s’est poursuivie par un sentier mal entretenu vers View Lapsi, centre de plongée sans attrait particulier.

Malte oct. nov. 2012 076 

Dans un faubourg de la Valette, nous avons aussi visité les temples de Tarxien, parmi les plus riches en vestiges préhistoriques, avec les remarquables sculptures qui y ont été trouvées. Ce site, le plus vaste de l’île, a été découvert par hasard au début du XXème siècle sous les fondations des maisons. Il est actuellement en cours d’aménagement, ce qui rend sa visite, par ailleurs passionnante, quelque peu inconfortable.  

Par chance, dans le même faubourg de Paola, grâce à deux aimables visiteurs rencontrés à notre hôtel, qui ont eu le courage de faire la queue pour obtenir des billets, nous avons eu le privilège de visiter l’hypogée de Hal Saflieni : il s’agit d’une vaste nécropole souterraine, creusée dans la pierre sur trois niveaux et datant de 3600 à 2500 ans avant J.-C. Le mystère des buts et des méthodes de sa construction reste entier, mais la visite laisse une vive impression.

L’ancienne petite ville de Mdina est aujourd’hui transformée en ville musée. Peu de gens y habitent dans de très belles maisons. Ancienne citadelle fortifiée, elle conserve ses palais, ses ruelles typiques et ses églises. Nous y avons visité le Palazzo Falson, dont la construction remonte au Moyen-Âge et qui fut racheté au XXème siècle par un riche citoyen britannique, Olof Frederick Gollcher, qui l’a restauré et enrichi de collections d’œuvres d’art qu’il a léguées à Malte.

A côté de Mdina, les restes d’une villa romaine se visitent et, dans la ville de Rabat, qui la jouxte, nous nous sommes rendus à la grotte où Saint Paul a prêché avant de retourner à Rome.

Malte oct. nov. 2012 066 

De Rabat, un bus nous conduisit à Dingli d’où nous avons longé le haut des falaises qui culminent à 220 mètres. Notre but était d’arriver aux jardins de Buskett, à quelques kilomètres de là, qui contiennent l’unique petit bois de Malte. Nous y arrivâmes sous la pluie pour constater son exiguïté.

Un autre jour, nous embarquâmes dans le ferry pour Gozo et, à peine débarqués au port de Mgarr, nous allâmes à Victoria, la ville principale située dans le centre de l’île. Nous sommes montés à Il-Kastell, la citadelle, d’où le chemin de ronde offre une vue panoramique sur toute l’île. Celle-ci est beaucoup plus verte que Malte : la campagne sépare les localités qui ne sont guère que de gros villages. L’après-midi fut encore consacré à la visite des temples mégalithiques de Ggantija, aussi anciens que ceux de Malte.

Au retour nous avons encore visité le moulin de Ta’Kola à Xaghra.

Nous avons consacré le dernier jour à la visite de Vittoriosa, la ville construite sur l’une des longues presqu’îles qui font face à la Valette. C’était un bon choix : j’avoue que j’éprouvais un petit coup de cœur pour les ruelles tranquilles de cette localité aux belles maisons fleuries, bien loin du vacarme de la circulation qui règne dans la plupart des faubourgs de la capitale.  

Malte oct. nov. 2012 117 

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13 novembre 2012 2 13 /11 /novembre /2012 18:48

Conversation à La Cathédrale est un roman qui met en scène la mauvaise conscience des enfants touchés par la culpabilité de leurs parents dans des crimes impardonnables. Les deux protagonistes centraux se rencontrent par hasard à Lima et vont boire un verre à La Cathédrale, un bar miteux où ils passent des heures à discuter. L’un d’eux est le fils aîné d’un homme d’affaires, soutien du régime dictatorial qui gouverne le Pérou dans les années 1950, alors que l’autre, Noir, est l’ancien chauffeur du père du premier.

Le fils cherche sans succès à démêler les ressorts de l’histoire de sa famille, si liée à celle du Pérou, et il pense que son interlocuteur, qui fut si proche de son père, l’aidera dans cette quête. Cette interminable conversation, entrecroisée d’autres dialogues entre d’autres personnes qui ont eu lieu à d’autres moments, servira à retrouver l’origine du mal-être familial, en même temps qu’à présenter toutes les contradictions de la vie politique et économique du Pérou, gangrenée par la corruption des militaires au pouvoir et la complicité des milieux économiques.

Il s’agit ainsi d’une vaste fresque historique et politique dans laquelle se greffe un drame familial et criminel qui ne se dévoile qu’au travers des multiples dialogues croisés. Le lecteur y côtoie tout le peuple dans sa diversité : petits ouvriers exploités, souvent métissés, prostituées, femmes de chambre, étudiants révolutionnaires, chanteuses de cabaret, soldats corrompus, ministres et parlementaires véreux… C’est un tableau haut en couleur du sous-développement d’une société tiraillée entre toutes ses contradictions. Le mode d’exposition incite le lecteur à reconstruire l’histoire progressivement, au fil des révélations, en se remémorant des détails entrevus longtemps avant. Il s’agit d’un récit éclaté, aussi incohérent que la vie quotidienne dans son déroulement le plus terre à terre. La vie humaine n’y vaut pas très cher, mais on y croise néanmoins quelques êtres empreints d’une profonde humanité, qui sont capables d’échapper à cette boue et de fournir de grands efforts pour soutenir les plus démunis.

L’amour y trouve sa place malgré tout, même si les conditions de vie le brident dans son jaillissement. L’histoire semble démontrer que la plus grande sagesse réside dans le renoncement, meilleur moyen d’échapper à la complicité des crimes les plus crapuleux. Il s’agit donc d’un livre très dur qui révèle que l’honnêteté ne se conserve que par une forme d’ascèse et n’est pas récompensée.

A l’encontre de cette innocence, le pouvoir politique s’appuie sur la force, la répression, la spoliation des classes populaires, la manipulation de toute la société et l’avilissement de larges couches de la population. La situation présentée souligne le caractère inexcusable de ces dictatures latino-américaines construites sur la terreur et engluées dans le sous-développement. C’est un tableau assez désespérant, qui ne fait pas appel au lyrisme comme chez Gabriel Garcia Marquez, mais au brio de sa construction.

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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 15:44

Après avoir bu mon café et constaté que le ciel est gris, que de gros nuages s’amoncellent au-dessus de la ville laissant filtrer une lumière diffuse, que le vent vient se briser sur la façade de la résidence mêlant son tumulte aux claquements des fenêtres qu’il choque, je prends The Waves de Virginia Woolf que j’ouvre à la première page et je commence ma lecture. Les monologues des six personnages sont souvent interrompus par les bruits du couloir, qui se prolongent quelques instants et cessent après qu’une porte a été fermée ou que des pas s’éloignent tout doucement. Puis c’est la visite de la femme de ménage ; deux heures encore et cette matinée pourtant étrangement calme s’achève dans la tranquillité du repas pris sur le pouce, avec Virginia Woolf qui trotte dans ma tête pendant que l’annonceur à la radio fait part d’un coup d’Etat dans un pays du sud. L’après-midi le discours lancinant et pathétique des six personnages m’occupe totalement l’esprit, ne laissant plus aucune place à la vie et aux mouvements du bâtiment. Le temps dans la chambre s’écoule seconde après seconde comme l’eau d’un seau qu’on aurait percé, alors que dans le livre le rythme de la vie s’en va, emmené par le style. Les personnages avancent vers leur destin, pas à pas, se tenant par la main et se lâchant brusquement, tour à tour, quand ici l’heure plus tardive que le moment de leur vie qu’ils ont atteint m’oblige à fermer le livre pour faire une course, puis préparer mon dîner. Maintenant, je puis reprendre ma lecture avant que la journée ne s’achève et que la nuit me fasse entrer dans un monde nouveau.  

 

Vous pouvez aussi être intéressé par :

 http://www.scopalto.com/europe/676/virginia-woolf-gertrude-stein

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21 octobre 2012 7 21 /10 /octobre /2012 16:01

Dans son article Sainte-Beuve et Balzac, Proust attaque d’emblée sur la vulgarité des sentiments de Balzac. Il entend par là que Balzac « a donné pour but à la vie la satisfaction des plus basses ambitions » et note que cette orientation n’a pas seulement été le fil conducteur de toute l’œuvre de Balzac, mais a nourri ses sentiments dans sa vie la plus intime, notamment son amour pour Mme Hanska. Dans son œuvre, cette obsession touche jusqu’à Mme de Mortsauf, la femme idéale, à l’heure de sa mort, lorsqu’elle transmet ses dernières instructions à Félix de Vandenesse dans le Lys dans la Vallée.

Proust pointe aussi la vulgarité du langage de Balzac, la corruption de son vocabulaire, l’usage d’expressions triviales. Il est certain que Balzac n’est pas un styliste comme Proust. Il utilisait un langage courant, ponctué d’expressions familières, et il faut reconnaître qu’il a anticipé sur une large évolution de l’usage de la langue au XXème siècle par les romanciers : Céline, par exemple, n’était-il pas un grand styliste qui nourrissait ses romans de l’argot le plus inventif de son temps ?

Proust admet néanmoins que « cette vulgarité même est peut-être la cause de la force de certaines de ses peintures ». Il est assez fin pour discerner l’existence des mobiles vulgaires même chez ceux qui les condamnent le plus. Et la présence de cet arrivisme chez de nombreux personnages de Balzac à côté des plus purs amours qu’ils aient pu vivre est l’une des grandes forces du romancier de la Comédie Humaine. C’est précisément cette capacité de créer des personnages mus par différents désirs qui rend l’œuvre de Balzac aussi riche. Bien qu’il se laisse parfois emporter par des théories fumeuses – qu’elles soient inspirées par les thèses répandues à son époque par Swedenborg, Lavater ou autre – Balzac s’est bien gardé d’avoir une vision univoque de l’homme. Nous pouvons sourire lorsqu’il développe une théorie de la différence de caractère des femmes à taille plate et des femmes à taille ronde par exemple, mais ses excès mêmes contribuent à la diversité de son œuvre.

L’immense trouvaille de Balzac que salue Proust est la réapparition des personnages d’un roman à l’autre, créant ainsi un immense cycle lié par un fil continu. Il est probable d’ailleurs que Proust s’en soit inspiré dans la construction de la Recherche du temps perdu : au-delà de Marcel narrateur, la plupart des personnages de Proust réapparaissent d’un roman à l’autre, montrant différentes facettes de leur personnalité, dûment analysées par Proust. Ainsi peut-on trouver certaines similitudes entre les œuvres de ces deux romanciers aux tempéraments si différents. Ce qui les distingue le plus profondément, c’est l’existence des types : Proust reconnaît que ceux-ci sont particulièrement nombreux chez Balzac et que différents personnages ne sont que des exemplaires d’un même type. Proust a dû se garder de reproduire ce schéma et il s’est efforcé de montrer ses personnages dans toute leur complexité, marqués par les succès et les échecs, évoluant dans la durée en modifiant leur comportement, leurs intérêts et leur vision du monde. L’analyse psychologique est très fine chez Proust alors qu’elle est beaucoup plus rudimentaire chez Balzac. Cette plus grande simplicité de Balzac lui permet de montrer des contrastes radicaux entre les amoureux transis de la jeunesse et les froids ambitieux qu’ils sont devenus dans la maturité, n’ayant réduit leurs idylles de jeunesse qu’au « sourire de ceux qui ont vraiment oublié» et envisageant les liens à venir sous le sceau de l’ascension sociale.

Balzac, en procédant de cette façon fait retomber le lecteur dans la réalité bien terre à terre qui l’entoure, ce qui procure souvent à celui-ci une grande satisfaction de voir son univers familier décrit dans un roman par un romancier illustre, avec toutes les exagérations propres à lui donner le sentiment de son importance.

Proust comprit cette leçon et poussa le procédé à un stade très avancé en montrant certains de ses personnages passer au fil des années à des positions qu’ils condamnaient de façon radicale dans leur jeunesse, sans que ces transformations paraissent caricaturales, du fait de l’évolution progressive induite par l’Histoire à l’ensemble de la société.

 

A lire aussi :

Albertine disparue – Marcel Proust

Séraphîta

Louis Lambert - Honoré de Balzac

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13 octobre 2012 6 13 /10 /octobre /2012 21:32

  

La guerre est l’une des choses les plus abominables qui puissent frapper les humains, et pourtant il est indispensable pour tout pays de s’y préparer, comme l’avaient déjà affirmé les Romains. Les traités de stratégie militaire se sont donc multipliés depuis l’antiquité et celui qui a été écrit par Sun Tzu vers le VIème ou Vème siècle avant Jésus Christ est certainement l’un des plus remarquables.

Sun Tzu expose avec une grande clarté et une remarquable concision les principes à respecter pour mener une guerre. De nos jours, son texte est encombré de multiples commentaires qui servent le plus souvent d’illustrations, mais n’ajoutent rien à sa compréhension. En effet, les principes énoncés par Sun Tzu sont parfaitement clairs et paraissent logiques même au profane.

S’il fallait retenir un seul point, ce serait sans doute que « tout l’art de la guerre est basé sur la duperie ». Par là, Sun Tzu se rapproche d’Homère et de son héros Ulysse. Mais Sun Tzu va encore plus loin en déclarant que la plus grande des victoires est celle qui est acquise sans qu’il y ait eu aucun combat. Ainsi cet antique général chinois souhaitait limiter les pertes humaines autant qu’il était possible. Il insistait d’ailleurs sur l’importance de conquérir des villes et des pays intacts et de toujours assurer une possibilité de fuite aux restes d’une armée défaite.

Ces points sont de nature à intriguer nos contemporains, blasés d’entendre l’énoncé des massacres de nos modernes conflits. Ils motivent certainement l’extrême notoriété qu’a retrouvée l’essai de Sun Tzu depuis une quinzaine d’années.

Une figure ressort de son exposé : celle du général commandant l’armée. A le lire, nous comprenons s’il en était besoin que le général en chef centralise tout le poids de la guerre. Il doit grouper en sa personne toutes les qualités qui permettent de gagner la bataille, dont la première est l’humanité qui lui permet de conserver l’estime de ses hommes.

Aujourd’hui, l’essai de Sun Tzu est acclimaté à tous les domaines où la compétition s’installe : en particulier la direction des entreprises, non seulement pour aider les responsables à définir les grandes manœuvres qui leur permettront d’acquérir l’entreprise d’un concurrent, ou de conquérir de nouveaux marchés, mais aussi pour influencer les règles du management, cet art de diriger les troupes en entreprise. La dernière trouvaille a été de présenter Sun Tzu comme théoricien de la séduction : ainsi l’antique stratège chinois est-il promu grand manœuvrier dans le domaine du libertinage.

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