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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 20:05

L’été dernier, une course familiale me conduisit à Nové Město na Moravě, au cœur des collines tchéco-moraves. Comme je n’avais rien à y faire, je décidai de gagner Ždár nad Sázavou à pied, par les sentiers de randonnée. Je ne manquai pas d’admirer l’église baroque de cette petite ville industrielle, ainsi que la colonne de la vierge dressée sur une belle place, avant de me diriger vers le nord où les premières collines boisées s’élèvent derrière  Černý Rybník, l’Etang Noir. Le sentier devient alors plaisant à l’ombre des hauts épicéas qui dominent dans ces forêts. 

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Je ne tardai pas à rejoindre le Ski Hotel, bâtiment futuriste construit dans la verdure, où, depuis les années soixante en hiver, les sportifs viennent pratiquer le ski de fond ou le hockey sur glace, alors que de nombreuses noces égayent ses salons. De là, un sentier pentu me fit gagner le sommet de Harusův kopec où un relais de télévision côtoie une pension de famille. Le sentier redescend vers les villages tranquilles de Jiříkovice et Lhotka. A partir de là, il traverse une plaine boisée et quelque peu marécageuse qui devait me conduire jusqu’à Ždár. Je ne fis d’autre rencontre dans ces bois et ces champs qui longent des étangs isolés que les échassiers qui affectionnent cette zone humide, et quelques chasseurs accompagnés de leur chien.

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A proximité du chef lieu, le sentier longe la réserve d’eau de la ville, un vaste étang tout en longueur, resserré dans un vallon, au bord duquel les promeneurs s’égayaient en nombre en cette fin d’après midi. Comme toujours, c’est la traversée des quartiers périphériques de la ville qui procure le moins d’agrément, avant de gagner la grande place centrale sur tout un côté de laquelle, dans les années soixante-dix, des planificateurs inconscients ont fait raser les belles villas art déco qui la bordaient au profit d’un centre commercial sans âme, en béton et en verre. Je restai néanmoins quelques instants à contempler le côté épargné avant de gagner tranquillement la gare où je retrouvai la famille qui attendait paisiblement le bus. 

 

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29 juillet 2013 1 29 /07 /juillet /2013 21:19

Le Banquet est l’un des textes les plus connus de Platon. Pourtant il diffère de sa méthode traditionnelle : contrairement à nombre de ses ouvrages, il ne prend pas la forme d’un dialogue appliquant la méthode dialectique chère à Socrate et que Platon mit en forme si brillamment, mais c’est une suite de discours prononcés par les participants à un banquet qui s’était tenu une quinzaine d’années avant sa narration, chez le poète Agathon.  

Apollodore rencontre un ami qui lui demande de raconter ce qui s’était dit sur l’amour au cours du banquet. Apollodore est d’autant mieux préparé à donner satisfaction à son ami que, quelques jours plus tôt, une autre connaissance lui avait fait la même demande. Lui-même, absent lors du banquet, avait été informé par Aristodème, un ami de Socrate.

Socrate était arrivé en retard au banquet au début duquel Phèdre avait souhaité que chaque convive fît un éloge d’Eros, le démon de l’amour. Phèdre introduisit la séance devant Socrate par un vibrant hommage d’Eros, le plus ancien des dieux selon lui, qui ne fait que du bien aux hommes, les rend vertueux et courageux. En effet, il n’y a pas de plus grand bien pour un homme qu’un amant vertueux. Les amants seuls savent mourir l’un pour l’autre pour peu qu’ils ne manquent pas de courage, à l’inverse d’Orphée qui ne put se résigner à mourir pour son amour.

Pausanias critique le discours de Phèdre qui oublie qu’il y a deux Amours, comme il y a deux Aphrodites. L’Aphrodite populaire s’attache au corps plutôt qu’à l’âme, inspirant des actions viles, alors que l’Aphrodite céleste s’attache au sexe masculin, plus fort et plus intelligent, pour former les liaisons les plus durables. On le voit, pour Platon, le « mariage pour tous », loin d’être condamné, est d’abord l’affaire des hommes. Néanmoins, pour Pausanias, l’amour n’est ni beau, ni laid en soi, il dépend de l’honnêteté et de la vertu des amants.

Eryximaque, le médecin, un peu pédant, critique les interventions de ses deux prédécesseurs. Selon lui la nature corporelle est soumise aux deux Eros, aussi bien chez les animaux et même dans les plantes. Il élargit son propos à différents domaines qui couvrent la nature tout entière, sans dire toutefois autre chose que Pausanias.

Aristophane entame alors l’intervention la plus originale : selon lui, jadis, trois espèces d’humains coexistaient : le mâle, la femelle et une troisième, composée des deux autres, qu’il nomme l’espèce androgyne. Elle était « de forme ronde, avec un dos et des flancs arrondis, quatre mains, autant de jambes, deux visages tout à fait pareils sur un cou rond, et sur ces deux visages opposés une seule tête, quatre oreilles, deux organes de la génération et tout le reste à l’avenant. » Ces androgynes se sentaient si forts qu’ils s’attaquèrent aux dieux, fournissant à ceux-ci le prétexte de les affaiblir, ce qu’ils réalisèrent en coupant les androgynes en deux.

Les corps ainsi divisés se sont mis à rechercher leur moitié : c’est de là que date l’amour inné des humains les uns pour les autres.

Agathon critique alors ses amis et fait le plus bel éloge de l’amour, parant celui-ci de toutes les qualités.

Socrate prend enfin la parole, en félicitant ses amis, et s’inquiète de savoir si toutes les qualités attribuées à l’Amour sont justes ou non. Alors commence la méthode dialectique par un dialogue de Socrate avec Agathon, qui démontre la vanité des propos de leurs compagnons. Socrate poursuit ensuite en citant Diotime, une femme experte dans les questions amoureuses, qui l’a renseigné sur la nature de l’amour. L’amour est ainsi ramené à une réalité plus prosaïque. Et Socrate fait valoir que son but profond pour les humains est l’immortalité qu’il leur assure par la procréation. C’est celle-ci qui entraine l’attirance sexuelle. Et Socrate tend à démontrer que l’amour doit encore s’élever à la recherche de la beauté absolue que ne peut procurer que la vérité fournie par la démarche philosophique.

Lorsque Socrate eut terminé son discours, Alcibiade, citoyen connu pour ses frasques et ses outrances, fit son apparition et se lança dans un éloge dithyrambique de Socrate, visant à démontrer toute la malice de celui-ci.

 

Il convient de louer l’habileté de Platon à enchaîner tous ces discours avec brio, tout en constatant que même à travers son texte, ses préférences pour les amours homosexuelles sont battues en brèche par son maître Socrate qui demeura jusqu’à la fin de ses jours le compagnon de son épouse Xanthippe, pourtant connue pour son caractère difficile.

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19 juillet 2013 5 19 /07 /juillet /2013 16:42

Emile Zola publie Thérèse Raquin en 1867, à 27 ans, après l’avoir fait paraître en feuilleton. C’est son deuxième roman, après la Confession de Claude. D’une certaine façon, il s’agit de son expérimentation de la méthode réaliste qu’il désire appliquer minutieusement à la construction de son œuvre. Ses personnages issus du peuple, réunis dans un passage sordide du vieux Paris, sont des individus ordinaires marqués par leur origine. Zola insiste toujours sur le tempérament inné des personnes.

 

Thérèse Raquin, née sous le soleil de l’Algérie, a une petite enfance agrémentée par la sensualité des pays chauds. Devenue orpheline, elle est recueillie par sa tante qui lui fait partager le lit de son cousin Camille, adolescent maladif, tributaire des soins de sa mère. Celle-ci, dans son for intérieur, destine Thérèse à devenir l’épouse de Camille, pour assurer la permanence des soins requis par la santé fragile de ce fils chéri. Cette situation est propre à choquer : comment peut-on envisager de marier deux jeunes gens qui, pendant des années, ont vécu comme frère et sœur, dans une promiscuité malsaine, qui procura à la petite fille un sentiment de dégoût à l’égard de son cousin ?

 

Le mariage est célébré néanmoins. Camille trouve un emploi de bureau et Thérèse supplée sa tante dans son petit commerce de dentelles. La famille se fait des amis qui viennent chaque semaine jouer aux dominos avec le trio. Parmi eux, Thérèse distingue Laurent, le collègue de Camille, garçon au corps vigoureux, débordant d’énergie physique. Une liaison se noue, avec de rapides ébats dans la chambre même de Camille et Thérèse pendant que le reste de la compagnie s’amuse.

 

Mais comment supporter une relation aussi incertaine alors qu’à chaque instant les deux amants peuvent être surpris ? Au fil des jours Thérèse ressent plus profondément l’aversion inspirée par son mari. Pour pouvoir jouir pleinement, Thérèse et Laurent doivent se débarrasser de Camille. Laurent échafaude un plan et le met à exécution avec la complicité de Thérèse. Le crime est parfait, mais les convenances doivent être respectées et les deux meurtriers partagent le souci de ne pas se trahir. Cette situation génère des tensions.

 

Toute cette inquiétude les mine et les empêche de se retrouver. Ils doivent attendre plus de deux ans avant de se marier. C’est alors que l’enfer commence. La sensualité a disparu, remplacée par le soupçon et la haine qui gagnent les anciens amants. La mère de Camille, devenue paralysée, est un témoin muet de leur abomination. Lorsqu’ils se retrouvent dans le lit conjugal, ils ont chacun le sentiment que le cadavre de Camille demeure en permanence entre eux.

 

Zola assène toute cette évolution au lecteur comme la démonstration d’une fatalité liée à la nature des protagonistes, avec une puissance inébranlable, suscitant des réactions contrastées de ses premiers lecteurs.

 

Il convient de noter la précision et l’élégance du style de Zola dès ce premier vrai roman réaliste. Les scènes qui parfois peuvent paraître excessives indiquent que Zola expérimente sa méthode dans ce roman. Ultérieurement, il parvint à faire passer sa puissance avec une moindre brutalité, qui a pu dérouter certains de ses premiers lecteurs.

 

 

 

 

Vous pouvez aussi être intéressé par :            Les trois villes : Paris - Emile Zola

 

 

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11 juillet 2013 4 11 /07 /juillet /2013 21:10

Dans ce court essai, Freud ne s’intéresse pas directement aux maladies psychiques mais à un domaine mal étudié de l’esthétique. Il s’agit d’une branche un peu marginale de la production esthétique, et en particulier littéraire, largement négligée par la critique. Ce domaine, selon Freud, est « lié à l’effrayant, à ce qui suscite l’angoisse et l’épouvante. » Nous ne pouvons donc pas être surpris que Freud s’y intéresse, lui qui s’est spécialisé dans l’étude de toutes les formes d’angoisse et de souffrance psychique.

Selon Freud, qui suit l’étude d’E. Jentsch, deux voies s’ouvrent à cette recherche :

-  - « quelle signification l’évolution de la langue a déposé dans le mot allemand unheimlich », imparfaitement traduit par inquiétante étrangeté ?

- - ou bien compiler tout ce qui, dans les personnes et les choses, dans les impressions sensorielles, les expériences vécues et les situations, éveille en nous le sentiment de l’inquiétante étrangeté et infère le caractère voilé de celui-ci à partir d’un élément commun à tous les cas. »

Il en conclut que les deux voies conduisent au même résultat : l’inquiétante étrangeté est « une variété particulière de l’effrayant, qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier. »

« Heimlich [secret, clandestin] est donc un mot qui évolue en direction d’une ambivalence, jusqu’à ce qu’il finisse par coïncider avec son contraire unheimlich [macabre, inquiétant].» Freud voit ainsi l’origine de l’inquiétante étrangeté dans le familier. 

Pour sa démonstration, Freud utilise les Contes d’Hoffmann et en particulier l’Homme au sable. La mère du jeune Nathanaël avait l’habitude d’envoyer les enfants au lit en leur annonçant que l’homme au sable allait arriver pour leur jeter du sable dans les yeux s’ils ne dormaient pas. Les yeux jaillissent alors de la tête des enfants et le méchant homme les ramasse pour « en repaître ses enfants » au clair de la lune. L’histoire, après divers rebondissements, se termine de façon macabre pour le jeune Nathanaël.

Pour Freud, l’angoisse de perdre ses yeux est une angoisse infantile effroyable et elle constitue souvent, dans l’inconscient, un substitut à l’angoisse de castration. Ainsi met-il en évidence un trouble infantile pour expliquer la genèse du sentiment d’inquiétante étrangeté.

Il évoque aussi le motif du double, à la suite d’O. Rank, pour caractériser le thème qu’il souhaite élucider. Cet objet, initialement « assurance contre la disparition du moi », devient également un motif d’angoisse, comme le montrent diverses œuvres littéraires, à l’exemple du Double de Dostoïevski. Il met en lumière le phénomène de la « répétition du même », qui recèle un pouvoir important de génération de l’inquiétante étrangeté.

Freud procède ainsi à une revue des thèmes habituels utilisés par les auteurs d’œuvres d’angoisse et qui ont très souvent pour fondement un traumatisme subi par des individus au cours de leur petite enfance.

Tous ces développements permettent à Freud d’avancer la conclusion que « tout affect qui s’attache à un mouvement émotionnel, de quelque nature qu’il soit, est transformé par le refoulement en angoisse. » De là provient l’idée du « retour du refoulé » comme l’un des principaux facteurs d’angoisse et c’est ce processus dans sa globalité qui cause l’inquiétante étrangeté. Freud rappelle encore le caractère inquiétant de la disparition de la frontière entre phénomènes jugés habituellement fantastiques et réalité.

 

Ainsi, tout l’art des auteurs qui, depuis la plus haute antiquité, ont su mettre en lumière des images présentes dans le psychisme de la majorité des individus pour créer une atmosphère d’inquiétante étrangeté, volontiers recherchée par les lecteurs ou les spectateurs de ces œuvres, est-il valorisé par l’explication des relations qu’ils ont puisées dans une perception intuitive de rapports complexes, présents dans l’inconscient des humains.

 

 

 

Autres articles consacrés à Freud :    

 

Deuil et mélancolie – Sigmund Freud

 

Totem et tabou – Sigmund Freud

 

L’Homme aux loups – Sigmund Freud

 

 

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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 13:46

Karl Marx publia la Question juive en 1843, en réponse au texte portant le même titre de son ancien maître Bruno Bauer. Le jeune Marx – il avait 25 ans –  n’avait pas encore construit le système exposé ultérieurement dans le Capital. Il était néanmoins en possession de tous ses moyens pour réagir à la position de Bruno Bauer.

Il résume l’argumentation de celui-ci : « les Juifs allemands réclament l’émancipation. Quelle émancipation réclament-ils ? L’émancipation civique, politique. » 

Bruno Bauer leur répond : « en Allemagne, personne n’est politiquement émancipé. Nous-mêmes ne sommes pas libres. Comment pourrions-nous vous libérer ? Vous êtes, vous autres Juifs, des égoïstes, vous réclamez pour vous, parce que vous êtes juifs, une émancipation particulière. Vous devez travailler, en votre qualité d’Allemands, à l’émancipation politique de l’Allemagne, et, en votre qualité d’hommes, à l’émancipation humaine. »

Ainsi, Bruno Bauer pose que la question juive, exprimée dans l’Allemagne du milieu de XIXème siècle par les représentants de la communauté juive elle-même, en termes de communautés à caractère religieux qui ne jouiraient pas exactement des mêmes droits, vise à renforcer le communautarisme existant.

Marx  ajoute à la suite de Bauer que « si les juifs reconnaissent l’Etat chrétien comme fondé en droit, il reconnaissent le régime de l’asservissement général. »

Cette position lui permet de rejoindre son maître dans l’idée que la question politique en Allemagne ne se pose pas en termes de communautés religieuses, car alors l’émancipation est impossible dans l’Etat allemand. Il convient donc de sortir de l’opposition religieuse et de considérer les droits fondamentaux de l’Etat démocratique, tels qu’ils ont été codifiés d’abord aux Etats-Unis, puis en France lors de la Révolution de 1789. Il s’agit alors d’une véritable émancipation politique.

Cependant, Bruno Bauer pointait qu’à l’époque où il écrivait, en France, passée sous le régime de la Monarchie de juillet, « la liberté universelle n’est pas encore érigée en loi, et la question juive n’est pas résolue non plus parce que la liberté légale est restreinte dans la vie encore dominée et morcelée par les privilèges religieux… ». Bauer envisage donc que l’homme renonce à la religion pour être émancipé civiquement, ce qui est une proposition osée pour un professeur de théologie.

Marx, quant à lui, envisage surtout que l’Etat s’émancipe de la religion en abandonnant la notion de « religion majoritaire » et en se limitant à garantir l’exercice privé du culte pour chaque citoyen qui le désire : c’est à peu près la définition moderne de la laïcité. Cependant, lorsqu’il observe les textes nés de la Révolution française, il ne peut qu’être intrigué par l’expression des « droits de l’homme et du citoyen » et se poser la question de ce qui distingue les droits de l’homme de ceux du citoyen. Il en vient logiquement à conclure que c’est le droit de la propriété, c’est-à-dire le droit bourgeois de posséder et donc d’exploiter son voisin. « La révolution politique c’est la révolution de la société bourgeoise. » Cette révolution démantela le système féodal et intégra en droit chaque citoyen dans les affaires de l’Etat, mais elle favorisa aussi la conception bourgeoise de l’économie qui devait prospérer au cours du XIXème siècle.

Marx conclut donc que « la constitution de l’Etat politique et la décomposition de la société bourgeoise en individus indépendants, dont les rapports sont régis par le droit, comme les rapports des hommes des corporations et des jurandes étaient régis par le privilège, s’accomplissent par un seul et même acte. »

Marx renforce le poids de cette conclusion et la combat en faisant appel à Rousseau, qui dans le Contrat social énonçait : « Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solidaire en partie d’un plus grand tout, dont cet individu reçoive, en quelque sorte, sa vie et son être, de substituer une existence partielle et morale à l’existence physique et indépendante. Il faut qu’il ôte à l’homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il ne puisse faire usage sans le secours d’autrui. »

Ainsi observe-t-on une convergence entre philosophes révolutionnaires, qui se proposent de construire une société harmonieuse en réduisant l’homme à une condition limitée d’outils d’une collectivité. Les expériences passées ont démontré le caractère utopique de ces propositions, même si, dans le même temps, la question religieuse a perdu de son intensité dans la société occidentale, sans que la spécificité de la « question juive » ne disparaisse totalement, en raison en particulier du souvenir de la Shoah, de la constitution d’Israël et des oppositions farouches qu’elle a suscitées et qui perdurent encore, notamment au Proche Orient.

 

 

A lire également :             Du Contrat social – Jean-Jacques Rousseau 

 

 

 

 

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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 21:05

Dans la préface au nègre du « Narcisse », Joseph Conrad déclare que « toute œuvre littéraire qui aspire, si humblement soit-il, à la qualité artistique doit justifier son existence à chaque ligne. » Et il est significatif que la lecture de ce court roman, même en traduction, nous paraît répondre à cette exigence. Conrad parvient à faire vivre la collectivité de l’équipage du « Narcisse » dans sa diversité, tout au long de sa dramatique traversée, de Bombay à Londres.

Le « Narcisse » est un voilier qui, en plus de ses marins attitrés, recrute dans le port indien  de nouveaux matelots. Le second, M. Baker, entreprend de faire l’appel de tout ce monde à l’arrière du navire. Il y a parmi eux une grande gueule d’Irlandais, surnommé Belfast, et un petit bonhomme auquel personne ne donnerait le bon Dieu sans confession, nommé Donkin. Dans tout le brouhaha, M. Baker eut quelques difficultés à accomplir sa tâche, qu’il poursuivit cependant avec régularité, lorsqu’un dernier matelot monté à bord après les autres attira l’attention générale. C’est celui qui faisait encore défaut à l’appel. Il se fit remarquer en criant « Wait » : la foule des marins découvrit alors un nouveau venu de grande taille. Lorsque son visage fut éclairé chacun s’aperçut qu’il était noir, ce qui provoqua un murmure de surprise, encore accru lorsqu’il justifia son retard d’une voix forte avec une grande assurance. Dès son arrivée, Jimmy Wait, le nègre du « Narcisse », en imposa donc à l’ensemble de l’équipage. Par la suite, il révéla qu’il était malade, ce qui l’empêchait de participer aux tâches de ses camarades. La suspicion s’installa parmi ceux-ci, et Conrad fait ressortir tous les sentiments contradictoires qui agitèrent cette communauté pendant la traversée.

Rapidement, à l’approche du Cap, le vaisseau essuya une effroyable tempête au cours de laquelle se manifestèrent la compétence et le caractère du capitaine et où toutes les qualités humaines ou les mauvais penchants des matelots se révélèrent. Pendant cette tempête il fallut par surcroît aller secourir Jimmy Wait dans la petite cabine qui lui avait été accordée, ce qui contribua encore à attiser les tensions à son égard.

Lorsque le vent tomba, le vaisseau resta d’abord immobilisé. Il fallut remettre en ordre les principaux accessoires de navigation, avant que le capitaine manœuvrât habilement et permît au bateau de poursuivre sa navigation vers son but.

Dans tout son récit, Conrad maintient la tension tout en éclairant les sentiments de quelques marins exemplaires et en montrant les mouvements de foule dans leur violence parfois irrationnelle. Au final, ce roman délivre le récit d’une grande aventure humaine dans un univers hostile et des conditions très dures, démontrant la puissance des qualités de certains personnages exemplaires. Dans cette situation, la présence du nègre du « Narcisse » permet de dévoiler les penchants de chacun, quitte à les voir contredits ultérieurement.

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10 juin 2013 1 10 /06 /juin /2013 19:18

Un avion s’est écrasé au cours d’une violente tempête. Un homme est extrait des débris, agonisant et dans le coma. A l’hôpital où il est emmené, personne ne sait qui il est ni d’où il vient. Le chirurgien souhaite connaître les conclusions de son collègue interniste avant toute intervention. Une infirmière a les yeux troublés à la vue d’un jeune médecin pourvu d’une longue mèche de cheveux.

Trois personnages, présents par hasard à l’hôpital, assistent aux délibérations aigres-douces de l’interniste et du chirurgien : une bonne sœur, un voyant et un poète. Naturellement, chacun d’eux est suspicieux vis-à-vis des deux autres et, sans se concerter, ils vont produire tous trois un récit expliquant les événements marquants de la vie de l’inconnu, Monsieur X, jusqu’à sa chute inopinée en pleine tempête.

La bonne sœur, par un rêve au cours duquel apparaît l’accidenté, met en scène une idylle avortée. Le voyant, par ses visions extralucides, voit surgir un être très théorique : ses sensations lui font découvrir un individu plein de contradictions, ce qui suscite une certaine estime de la part du corps médical. Quant au poète, il construit une fiction en se basant sur des hypothèses logiques, ou du moins vraisemblables. La règle qu’il se fixe consiste à proscrire toute contradiction interne. Par cette méthode, il construit la narration la plus cohérente, un véritable roman dans le roman. Il mélange contexte familial, exotisme, aventure, amour, selon les méthodes d’un romancier.

Par ces trois textes, plus ou moins bien évalués par le chirurgien et l’interniste, Karel Čapek construit une véritable leçon de la production de tout récit imaginaire. Rêve, voyance irrationnelle ou fiction romanesque sont construits sans autre lien que la présence d’un homme agonisant qui vient de tomber du ciel. Chaque récit se démarque complètement des deux autres et aucun ne présente la moindre preuve de sa véracité, ni de son erreur.

Il s’agit au total d’un exercice particulièrement brillant destiné à montrer la puissance de la narration à partir d’un canevas minimaliste. Čapek transporte le lecteur dans trois fictions antagonistes sans apporter de conclusion. Au final, la seule leçon que nous pouvons en tirer peut se résumer à deux propositions : un homme est mort dans un accident d’avion ; nous ne savons ni qui il était, ni d’où il venait.

Le romancier a créé une fiction avec un début et trois fins inconciliables. Le roman est détruit avant même d’avoir été construit. Le lecteur toutefois, dans sa grande irrationalité, peut choisir un récit au détriment des deux autres. Il sait que le roman est une histoire imaginaire, mais là il ne peut savoir avec certitude laquelle des trois est la bonne.

Il s’agit donc d’un grand exercice de manipulation et de déconstruction avant la lettre que nous offrit le grand écrivain tchèque des années 1920 et 1930, préfigurant ce qui allait devenir un thème récurrent de la littérature moderne.

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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 16:35

Une saison en enfer nous fait réellement pénétrer dans les cercles de l’enfer. Son narrateur est une âme déchue, quoique toute jeune encore, n’ayant pas connu les affres de la vieillesse. Une nostalgie du temps où sa « vie était un festin » la saisit à peine. Elle se remémore son long cheminement vers la déchéance attendue, ses efforts pour provoquer la mort, son avidité de la boue et du malheur.

Cette âme revient sur toute son existence avec calme, sans regret, exposant toutes ses tares et insistant sur ses turpitudes. Il lui reste néanmoins une inclination vers le rêve et notamment le goût du voyage. Encore attachée à l’Eglise, elle expose des velléités de voyage en Terre sainte, en passant par Byzance. C’est aussi un désenchantement pour toutes les occasions perdues, un déni total de sa famille, une solitude absolue, avec une vision pessimiste de l’évolution de l’humanité, de ses intérêts et de la science.

Il y a néanmoins une tentative de recours au divin. Cette âme prétend attendre Dieu avec gourmandise. Elle évoque des scènes plus rêvées que vécues. Elle déclare n’avoir pas connu de liaisons féminines : « Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. » Elle se sent maudite, se gardant de tout. Son attirance dans l’enfance allait vers les déclassés, les forçats et les vagabonds, tous les parias de la société. Rêve ou réalité, cette aspiration trahit sa grande détresse, le manque d’amour dont elle a souffert. Elle balance entre le divin et Satan. Après avoir tout attendu, tout plus ou moins désiré et avoir fourni des efforts dans diverses directions, elle renonce, semble se résigner à se laisser ballotter. Elle se retrouve dans la nuit de l’enfer : « j’ai avalé une fameuse gorgée de poison. »

La violence de la vision provoque une hébétude, le souvenir des tentatives d’accéder au bonheur et au salut, des images d’enfance, des hallucinations. L’âme déchue comprend que c’est une richesse : même les poètes n’ont pas eu de telles visions. La pauvre âme retrouve ici sa supériorité, elle prend conscience du trésor qu’elle a possédé. Puis la chute survient, l’enfer l’absorbe, elle ne peut s’échapper, elle reconnaît sa faiblesse face au feu qui l’entoure.

Intervient l’épisode de la vierge folle : cette pauvre créature perdue par un époux infernal, presque un enfant. Il est facile de reconnaître dans ce passage la référence à l’aventure avec Verlaine, dans laquelle Rimbaud joua le rôle de l’époux infernal d’un Verlaine faible, incapable de mener une vie digne, accroché aux basques de son jeune compagnon dominateur, le suivant dans toutes les débauches et toutes les ignominies, « en étant sûre de ne jamais entrer dans son monde. » La vierge folle ne comprit jamais pourquoi son jeune époux « voulait tant s’évader de la réalité. » Elle était prête à se soumettre à tous ses caprices, laissant son chagrin d’avoir brisé son ménage, rompu avec la société, entre les mains de son tyrannique compagnon, véritable Ange du mal. Elle était prête à tout accepter pour « ses baisers et ses étreintes amies. »

Puis l’âme déchue revient à ses délires : l’alchimie du verbe, la volonté de noter l’inexprimable, tout le programme de la « lettre du voyant » écrite à Paul Demeny le 15 mai 1871, - Rimbaud avait 16 ans.

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

Dans ce programme il y avait une posture, mais Rimbaud montra qu’il était capable d’accomplir son dessein et d’y entraîner dans une chute presque fatale pour tous deux son compagnon d’infortune. Une saison en enfer avec ses courts chapitres entrecoupés de poèmes, son écriture hachée, son tiraillement entre ciel et enfer, son outrance, est un texte d’une force peu commune en même temps qu’un demi-aveu d’échec.

Néanmoins, de cette expérience subsista toute l’extraordinaire série de poèmes que Rimbaud produisit dans ces quelques années délirantes, encore approfondie dans les Illuminations, avant de s’orienter vers une autre vie, de chercheur d’or et d’aventures, dans le cadre d’un comptoir au Harrar en Abyssinie.

Autre article consacré à Rimbaud :               Génie - Arthur Rimbaud

 

 

 

 

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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 18:17

Le Roi du bois exprime, comme d’autres de ses ouvrages, le goût de Pierre Michon pour l’Histoire, la campagne et la peinture. Cette fois, c’est dans les environs de Rome, au XVIIème siècle, que se situe le décor de cette nouvelle. La forêt permet à un jeune porcher d’observer les seigneurs qui hantent les alentours de Tivoli et de se former à leur contact une philosophie personnelle. Encore enfant, la surprise de voir une jeune femme pisser devant lui sans gêne, en retroussant bien haut sa robe richement parée, renforce son jugement sur la caste seigneuriale.

Dans ce même paysage, il a l’habitude de croiser les peintres aussi, et il se laisse tenter par Claude Le Lorrain, qui lui propose de travailler avec lui. Resté vingt ans à son service, il n’y gagna pas la gloire du maître et préféra se retirer au service des seigneurs, où il conduisait la meute des chiens lors des chasses à courre.

Cette histoire toute simple fournit à Pierre Michon une occasion de produire des images flamboyantes au bénéfice du scepticisme de son héros, qui ne se laisse pas abuser par la grandeur des seigneurs ou la gloire des artistes. La terre, elle, comme chacun sait, ne ment pas.

A lire aussi :      La saison en enfer de Pierre Michon     

                          Les Onze – Pierre Michon

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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 09:38

Dans la Bible, Absalon, l’un des fils de David, fait assassiner son demi-frère Amnon pour le châtier d’avoir commis un inceste avec leur sœur Tamar. Le titre du roman de Faulkner fait référence à cet épisode pour raconter l’histoire de la famille Sutpen.

Né dans une famille modeste de la Virginie, Thomas Sutpen ressentit une profonde humiliation dans son enfance lorsqu’un domestique noir l’éconduisit alors qu’il venait présenter une requête, sans même le laisser entrer dans la propriété du maître. Cet incident donna naissance à un désir de revanche irréductible chez l’enfant qui, devenu adulte, fit preuve d’une énergie et d’une détermination infaillibles dans la poursuite de son objectif de s’enrichir et de fonder une famille.

L’histoire de cette famille est présentée par de longs dialogues où l’un des interlocuteurs raconte les étapes de cette ascension sociale à son auditeur. Le lecteur prend ainsi connaissance des événements selon des points de vue distincts, par à-coups, sans respect de l’ordre chronologique et sans toujours savoir quel rôle a pu jouer tel intervenant à une étape antérieure de l’histoire.

Les différents narrateurs s’expriment généralement en longues périodes, parfois coupées par une intervention de leur auditeur. Il est souvent difficile de se retrouver parmi tous les noms évoqués. Quoi qu’il en soit, la personnalité écrasante de Thomas Sutpen domine toute la société alentour, et ses proches souffrent de sa dureté et de ses exigences. Pourvu de volonté et de perspicacité, il se croit prêt à affronter tous les obstacles, sans imaginer que les événements puissent aussi se retourner contre ses desseins. Il parvint bien à conquérir une vaste propriété et à y établir une famille, sans prévoir que les accidents du passé puissent avoir une incidence destructrice sur ses réalisations.

Au milieu de ce contexte particulièrement lourd intervient la rencontre dans une université provinciale de Henry, le fils de Thomas Sutpen et de Charles Bon, de dix ans son aîné. Charles Bon mène une vie de plaisirs, entretenant une maîtresse octavonne – c'est-à-dire dotée d’un huitième de sang « noir » – avec laquelle il a un enfant. Une amitié solide se construit entre les deux condisciples et Henry tente de séduire Charles par l’évocation généreuse de sa sœur Judith. Les liens entre les deux jeunes hommes sont si étroits que Charles se laisse entraîner et, au cours d’une visite à Sutpen’s Hundred, la propriété familiale, il rencontre Judith.

Le veto opposé par Thomas Sutpen au projet de mariage provoque le drame qui s’étire sur une durée de cinq ans, pendant lesquels se déroule la Guerre de Sécession. Cette longue guerre, au cours de laquelle Thomas Sutpen devient colonel et les deux amis Henry et Charles combattent dans la même unité, apparaît bien comme la rupture fondamentale que subit tout le Sud des Etats-Unis. La ruine s’ajoute à la honte de la défaite et à la fuite de la majorité de la population noire vers les Etats du nord.

Sutpen, réduit à tenir un petit commerce pour survivre, continue de maltraiter son entourage, sans imaginer que sa dureté et son mépris des autres puissent causer sa perte. Ne renonçant pas à son but au retour de la guerre, dans ce pays de vaincus, à près de soixante ans il propose le mariage à Rosa, la sœur de sa défunte épouse, dans l’espoir d’avoir encore un fils qui prenne la relève de Henry, celui-ci ayant renoncé à tous ses droits familiaux après le veto de son père au mariage de Charles et Judith. Cependant Thomas Sutpen ne peut s’empêcher d’outrager Rosa avant le mariage, provoquant son refus. De même, il rabaisse la petite fille de son homme de main, alors même qu’elle vient d’accoucher d’un enfant de lui. Cette brutalité est restituée dans les récits de sa belle sœur outragée. De tous les personnages féminins du roman, Rosa développe la plus forte personnalité, exposant sans relâche l’histoire de cette famille et de Thomas Sutpen, le « démon », à Quentin Compson, qui était déjà l’un des personnages centraux dans le Bruit et la fureur.

Ce roman, certainement le plus complexe écrit par William Faulkner, démontre la parfaite maîtrise de son auteur à conduire une narration aussi subtile, dans laquelle sont reprises toutes les obsessions de Faulkner sur le sud des Etats-Unis, la guerre, le crime, les liens amoureux, la culpabilité, le ressentiment et la volonté de puissance. C’est un monde extrême qui est présenté au lecteur et celui-ci doit fournir un effort pour y pénétrer.

 

 

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