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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 21:07

C’est une entreprise exceptionnelle qu’a accomplie Ivo Andric en écrivant le Pont sur la Drina : inclassable, cette chronique de la vie dans la ville de Višegrad s’écoule sur une durée de quatre siècles, en présentant de multiples personnages dans des actions d’une grande diversité et sans autre lien que l’unité de lieu, la ville et son pont avec, comme point central, la kapia, la petite terrasse aménagée au milieu du pont.

Naturellement, Ivo Andric fait défiler toute l’évolution historique de la colonisation ottomane, jusqu’à son déclin et son remplacement presque en douceur par l’empire d’Autriche Hongrie au XIXème siècle. Mais cette grande Histoire sert de fond à sa fresque et n’en forme pas le cœur : celui-ci sera constitué des petites aventures du peuple de Višegrad et de ses habitudes. Ce parti-pris de nous faire voir l’écoulement du temps au travers de la vie du peuple ne l’empêche pas de montrer toutes les fractures qui divisent cette population.

L’invasion turque a poussé un grand nombre d’habitants de la Bosnie à se convertir à l’Islam : cela créait naturellement quelques tensions avec leurs voisins Serbes demeurés orthodoxes. Au milieu de ces deux communautés antagonistes mais vivant en bonne intelligence sous la pression du colonisateur existait aussi une minorité juive. En revanche, il n’est pratiquement pas  question des Croates catholiques qui n’avaient pas dû s’implanter dans ces confins de la Bosnie.

L’évolution générale nous fait voir la dureté des Turcs, qui enlèvent des enfants à leurs familles pour les conduire à Stamboul, où ils doivent suivre l’enseignement des janissaires, dûment convertis à l’islam et destinés à devenir des administrateurs et des notables de l’empire. C’est l’un de ceux-ci, emmené de force en 1516 de son village natal de Sokolovici à l’âge de dix ans, qui, devenu vizir sous le nom de Mehmed pacha Sokolovici, ordonna la construction du pont.

Celle-ci suscite une vive inquiétude dans la population et donne lieu à quelques scènes atroces qui montrent la cruauté que pouvaient exercer les Turcs à l’égard des opposants à leur politique.

Dans tous ces développements qui font alterner le dramatique avec la description de la vie paisible qui lui succède, Ivo Andric conserve toujours une distance et un ton neutre qui atténuent le caractère passionnel que les intéressés devaient nécessairement ressentir devant les événements. Il sait trouver une langue riche pour bien marquer les nuances qui distinguent la façon de penser de ses personnages, et la traduction de Pascale Delpech, d’une grande élégance, marque bien à la fois l’attachement de l’auteur à ce peuple et son ironie retenue face à ses inconsistances.

Naturellement, Ivo Andric nous conduit jusqu’à 1914, à l’attentat qui coûta la vie à l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo – comme son confrère autrichien Joseph Roth dans la Marche de Radetzky – et aux premiers combats de 1914.

 

 

A lire aussi : La Marche de Radetzky – Joseph Roth

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